Des états généraux sur telle ou telle branche du droit, la chose avait déjà été faite, des conférences ou des tables rondes sur le droit de la vente automobile ou des thématiques comme la délinquance routière ou le permis à points ont été organisées à de nombreuses reprises par des organismes de formation, des écoles d’avocats ou des barreaux. Mais des états généraux uniquement consacrés au droit automobile, l’aventure n’avait jamais été tentée avant la manifestation qui s’est tenue le 29 mai dernier au Musée National de l’Automobile
Par Jean-Baptiste le Dall, Avocat à la Cour, Docteur en Droit, Responsable scientifique des Etats Généraux du Droit Automobile
J’avais depuis longtemps dans l’idée d’offrir un écrin à la hauteur au droit automobile, l’Erage m’en a donné l’occasion et je remercie vivement l’Ecole des Avocats du Grand Est de m’avoir confié les clés. Il est assez fréquent que la pratique du droit automobile trahisse une inclination plus ou moins prononcée pour la chose automobile. Le Musée national automobile a, aisément, emporté l’adhésion des amateurs de belles mécaniques, mais les moins passionnés n’ont pu rester de marbre face à l’éclat d’un tel lieu ou tout du moins des trésors qu’il recèle.
Il existe d’autres musées automobiles, mais il n’en est qu’un un seul qui puisse s’enorgueillir d’une telle profusion de véhicules d’exception, l’arrivée dans la salle de conférence flanquée de quatre Bugatti dont deux exceptionnelles royales résume à elle seule le musée. Cette débauche de voitures à la fois majestueuses et rarissimes offre à ces Etats généraux du droit automobile le plus beau des écrins.
Mais outre la splendeur des lieux, organiser les Etats généraux du droit automobile fait particulièrement sens lorsque l’on rappelle que la cité automobile porte également celui de collection Schlumpf.
Les frères Schlumpf dont l’histoire aura marqué pour longtemps Mulhouse et notamment les professionnels du droit entre la fin chahutée de l’empire Schlumpf et quelques affaires dont le procès de Paule Schlumpf aux Assises de la Seine en novembre 1948 pour le meurtre de son amant.
Certains des participants aux Etats Généraux ont, d’ailleurs, pu se plonger dans l’histoire mouvementée de Fritz et Hans Schlumpf lors de la visite du musée en fin de journée, d’autres préféré les ateliers plus ludiques de démarrage à la manivelle ou de voiture tonneau mais tous ont pu prendre conscience de l’attitude visionnaire des deux frères.
Avant tout le monde, ils ont compris qu’il fallait préserver notre patrimoine automobile. Alors que les caisses carrées et autres bolides d’avant-guerre étaient délaissés, abandonnés au fond d’une grange ou encore de service sans grande considération, les frères Schlumpf ont eu l’idée d’acheter ces véhicules qui n’intéressaient pas encore grand monde. Ils ont, ainsi, pu acquérir leurs premières voitures pour une bouchée de pain, certains corrigeront en précisant qu’ils les ont, sans doute, payé au poids de la ferraille. Mais en se posant comme précurseurs, les frères Schlumpf ont pu constituer une collection qu’il serait sur le seul plan financier difficile de concevoir de nos jours.
L’idée de la collection a rapidement germé dans l’esprit des frères Schlumpf et c’est ainsi qu’ils ont lancé de véritables chasseurs de trésor sillonner les routes françaises et européennes à la recherche de tel ou tel modèle. Et c’est ainsi que de émissaires des Schlumpf iront explorer l’Amérique débusquant ici une veille Bugatti ou là une collection entière.
Mais les frères Schlumpf ne se sont pas contentés de rapatrier des centaines de bolides dans leurs usines de Mulhouse. Récemment, le petit monde de la voiture de collection a été tenu en haleine par la découverte et la dispersion de la collection Baillon. Là aussi un homme qui fait fortune et qui plus tard connu, également, le gout amer de la chute, et toujours comme les frères Schlumpf le doux rêve de créer un musée à sa mesure ou plutôt à sa démesure. Une partie de la collection Baillon avait déjà été vendue, restaient quelques tas de ferraille stockés pratiquement à l’air libre. C’est cette collection qui a enflammé les enchères lors du dernier salon Retro mobile au mois de février à la Porte de Versailles. Les prix ont explosé les estimations, bien sûr quelques pièces rares et relativement bien préservées (on pense à une Ferrari 250 GT California Spyder rapidement passée entre les mains d'Alain Delon à l’époque) ont tiré les enchères vers le haut. Mais c’est lorsque l’on réalise que la dispersion de la collection Baillon a rapporté 25,15 millions d'euros frais de vente inclus pour une petite soixantaine de véhicules dont la plupart étaient à l’état d’épave que l’on perçoit le caractère exceptionnel de la collection Schlumpf.
Cinq cents véhicules, la plus importante collection de Bugatti du monde avec plus de cent vingt modèles dont deux des six célèbres Bugatti royales construites et tous les modèles exposés peuvent se prévaloir d’un contrôle technique en règle… Les chiffres donnent le tournis.
L’œuvre des frères Schlumpf ne s’est pas arrêtée à une simple accumulation, franchies les lourdes portes des ateliers mulhousiens, c’est une armée d’artisans qui se penchait sur les trésors des frères Schlumpf.
La faillite, la découverte par les ouvriers de cette fabuleuse collection soigneusement cachée par les frères Schlumpf pendant des années, l’exil en Suisse, autant de péripéties qui ont pu faire oublier l’attitude visionnaire de Fritz et Hans Schlumpf.
Tenir les premiers Etats généraux du droit automobile au sein de cette collection Schlumpf a, donc, une saveur toute particulière tant le droit automobile est encore aujourd’hui largement ignoré.
Bien sûr quelques éditeurs, quelques écoles d’avocats commencent à faire une place au droit automobile, mais le faible nombre de publications ne reflète pas l’importance qu’a pris le contentieux lié à la matière.
Les civilistes nous rappelleront que l’automobile a toujours brillamment illustré certaines notions, on pensera, par exemple, aux vices cachés auxquels a été consacré l’un des ateliers. Effectivement il est toujours plus plaisant d’évoquer les courbes d’une Maserati ou la sonorité rauque d’un moteur Ferrari pour parler vice cachés ou obligation de délivrance que de se pencher sur les tares d’une machine à laver ou les défaillances d’une perceuse à percussion. Et les amateurs d’arrêts à beaux noms pourront même faire référence au célèbre arrêt Lamborghini de 1979…
Pour autant, même de nombreux professionnels du droit peinent à prendre la mesure du contentieux, pour ne parler que des pertes de points (qui ont, aussi, fait l’objet d’un atelier), pour l’année 2013 : 13,5 millions de points ont été retirés aux conducteurs français. Certains objecteront qu’un simple retrait de point de faible gravité ne génère pas un contentieux, on abordera alors ce qui est perçu, tout du moins par les magistrats comme sensiblement plus dangereux : la délinquance routière. Toujours en 2013, une affaire sur cinq dont étaient saisis les parquets concernait un délit routier. Et ces mêmes délits routiers représentaient, pour cette même année 2013, 43% des poursuites engagées devant les tribunaux avec certaines procédures qui sont désormais presque exclusivement dédiées au contentieux routier. La délinquance routière occupe, ainsi, 90% des ordonnances pénales, plus de 60% des CRPC (Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité) ou encore 50 % des compositions pénales…
Ces quelques chiffres montrent qu’il est difficile pour un avocat ou un juriste d’ignorer ces problématiques. Certaines ont été abordées dans le cadre d’un ou plusieurs ateliers de ces premiers états généraux, mais il est bien sûr impossible de balayer le droit automobile en quelques heures. L’occasion aurait être tentante d’évoquer les 30 ans de la loi de 1985, l’assurance, le préjudice corporel, la fiscalité automobile, le patrimoine et la voiture de collection, l’écologie, les objets connectés, et demain la conduite automatisée sans pilote… Autant de problématiques et de sujets passionnants auxquels seront certainement consacrés de futures conférences ou ateliers lors des prochains Etats Généraux du droit Automobile.
Et c’est avec la plus grande humilité que l’esprit avant-gardiste et visionnaire des frères Schlumpf sera invoqué pour donner à ces Etats généraux tout le souffle que mérite aujourd’hui le droit automobile.
Au-delà de la qualité des interventions, c’est aussi de la diversité des profils des conférenciers et des participants : avocats, juristes, magistrats, experts en automobiles, journalistes, enseignants ou encore assureurs que peut provenir l’intérêt des échanges autour d’une matière profondément marquée par la transversalité.
Incontestablement la diversité des thématiques abordées au cours de ces premiers états généraux aura permis à tous de repartir avec des idées neuves qui pourront être mises en pratique sans tarder. Si l’apport de cette journée de conférence peut résider dans la stricte information juridique, elle peut aussi, en effet, découler de la rencontre d’un autre professionnel. L’intervention de Monsieur Arnaud Laguitton, expert en automobile et président de la commission accidentologie de l’ANEA est à ce titre particulièrement parlante. Au travers de l’étude d’un accident de la circulation pour lequel il était intervenu dans le cadre d’une mission d’expertise judiciaire, Arnaud Laguitton a pu nous expliquer ce qu’une telle mission pouvait apporter aux débats. L’étude de cette mission et l’évocation d’autres missions aura permis à de nombreux participants de réaliser que l’appel à un autre professionnel pouvait dans certains cas permettre la relaxe d’un client. Le brassage de différents professionnels travaillant la matière était l’une des idées-forces de ces états généraux, et cette diversité des horizons professionnels n’a, d’ailleurs, pas manquée d’être saluée par de nombreux participants.
Plusieurs interventions feront prochainement l’objet de comptes rendus sur différents supports. L’atelier numéro 1 sur les vices cachés pour lequel étaient intervenus Pascale Getin (Autoplus) ainsi que Christophe Lièvremont et Jean-Baptiste le Dall Avocats et Docteurs en Droit aura, par exemple, les honneurs du prochain numéro de la Jurisprudence Automobile (compte rendu des travaux, contribution de JB le Dall et Ch. Lèvremont, interview de Genzwurker-Kastner, Directrice Juridique de l’Automobile Club Association, également intervenante lors des Etats généraux du droit automobile).
Rappelons que pour les participants, les documents pédagogiques, c’est par là, en attendant avec impatience la prochaine édition :
https://www.erage.eu/etats-generaux-automobile-docs/
Les intervenants lors des Etats généraux du droit automobile – Musée national automobile, Mulhouse
Ouverture :
Sophie PUJOL BAINIER, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Mulhouse
Dominique EDEL, Vice-président de l’ERAGE, Avocat au Barreau de Colmar
Jean-Baptiste LE DALL, Avocat au barreau de Paris, Docteur en Droit, responsable scientifique du colloque
Intervenants
Jean-Baptiste LE DALL : Avocat au barreau de Paris,
Rémy JOSSEAUME : Avocat au barreau de Paris
Pascale GETIN : Journaliste – Auto Plus,
Christophe LIÈVREMONT : Avocat au barreau de Mulhouse
Lionel NAMIN : Secrétaire Général de l’ANEA,
Arnaud LAGUITTON : Expert en automobile, Président de la Commission Accidentologie de l’ANEA
Céline GENZWURKER-KASTNER : Directrice Juridique de l’Automobile Club Association
Quelques clichés
des Etats Généraux du Droit Automobile