Au milieu de l'épais rapport de la mission parlementaire sur la sécurité routière, une disposition pourrait introduire une obligation de dénonciation dans le Code de la route.
Jean-Baptiste le Dall, avocat en droit automobile, s'élève contre cette proposition et nous dit pourquoi.
La mission parlementaire sur la sécurité routière vient de rendre son rapport cette semaine. Rappelons-le, tout de suite, cette mission a été constituée pour apaiser les parlementaires à qui l'on avaient fait croire qu'ils pourraient se faire entendre dans l'affaire rocambolesque de la suppression des panneaux signalant un radar automatique.
Quelques mois après le Comité Interministériel pour la sécurité routière du 11 mai à l'issue duquel avaient été annoncées sans la moindre concertation toute une série de mesures plus ou moins opportunes, nous avons aujourd'hui le plaisir de découvrir une nouvelle fournée de propositions.
Les automobilistes auront déjà entendu parler de l'interdiction du kit mains-libres (ou tout du moins de l'oreillette), espéreront que la mesure relative à l'exonération de retrait de points pour un premier excès de vitesse de moins de 10 km/h passe le stade de la simple proposition, et les motards se préoccuperont de la taille de leurs plaques minéralogiques et du contrôle technique en cas de cession de leurs deux roues... Bref, tout le monde pourra trouver son bonheur dans cette liste à la Prévert.
Je ne détaillerai pas toutes les propositions, on s'y perdrait pour ne m'insurger (en tout cas aujourd'hui) uniquement contre l'une des dispositions de la 13ème proposition : « Créer une infraction visant à sanctionner les personnes qui, de mauvaise foi, disent ne pas pouvoir indiquer qui conduisait leur véhicule, afin que les retraits de points puissent être effectués »
Pour faire simple, les parlementaires nous expliquent qu'ils souhaitent rendre la délation obligatoire sous peine d'être sanctionné !
En cas de verbalisation par radar automatique, un avis de contravention est envoyé au titulaire de la carte grise. Si celui-ci paye, il reconnaît l'infraction. Il se peut, par contre, qu'il n'ait pas été au volant au moment de faits. Il est, encore, légal en France de prêter sa voiture. Deux possibilité s'offrent alors au titulaire de la carte grise : soit désigner le véritable auteur des faits, soit contester la verbalisation en indiquant ne pas avoir été au volant au moment de l'infraction mais ne pas être en mesure de désigner l'auteur véritable.
Cette dernière possibilité devrait permettre au titulaire de la carte grise d'échapper à la perte de points. Mais attention, il restera redevable d'une amende civile en tant que titulaire de la carte grise. C'est ceque prévoient les dispositions de l'article L.121-3 du Code de la route. Et parfois, l'addition peut s'avérer salée, puisqu'en cas de passage devant la juridiction de proximité les montants prévus en matière d'amende forfaitaire ne s'appliquent plus. Le titulaire de la carte grise aura donc pu, au final, éviter la perte de points, mais pourra se retrouver à devoir payer une amende de 300, 400, 500 euros...
Il n'existe, ainsi, dans notre droit positif aucune obligation pour le titulaire de la carte grise de désigner le conducteur responsable. Et heureusement ! Il peut, en effet, arriver que l'on ne sache pas qui conduisait le véhicule lors de la constatation de l'infraction. Cela sera, par exemple, le cas du véhicule familial qui peut être emprunté par toute la famille...
Et bien évidemment, on ne peut que respecter le choix de celui qui ne souhaite pas dénoncer son père, sa mère, son frère ou son fils !
Avec cette 13ème proposition, les parlementaires entendent contraindre un père à dénoncer son fils. Oui on peut aujourd'hui parler de délation !
Rappelons, que le Code pénal ne sanctionne la non dénonciation qu'en des circonstances très particulières. C'est ce que prévoit l'article 434-1 : « Le fait, pour quiconque ayant connaissance d'un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende. »
Strictement rien à voir avec un simple petit excès de vitesse ! Et encore le Code pénal ne parle que de dénoncer un crime pas son auteur.
Sans compter que cet article 434-1 nous précise, immédiatement, que « sont exceptés des dispositions qui précèdent (sauf en ce qui concerne les crimes commis sur les mineurs de quinze ans) : 1° Les parents en ligne directe et leurs conjoints, ainsi que les frères et sœurs et leurs conjoints, de l'auteur ou du complice du crime ; 2° Le conjoint de l'auteur ou du complice du crime, ou la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui. »
Avec cette 13ème proposition, c'est tout simplement le droit de tout à chacun de se défendre que les parlementaires foulent aux pieds.
Si le titulaire du certificat d'immatriculation n'est pas en mesure de désigner l'auteur véritable et s'il ne peut prouver sa présence en d'autre lieux, le risque serait alors grand de se voir sanctionner. Car cette proposition n°13 reste extrêmement vague faisant référence à la « mauvaise foi » du propriétaire du véhicule.
Mais qui sera juge de cette mauvaise foi ? Le juge... mais d'après quels critères ? La bonne allure de l'automobiliste ?
Sur la nature de cette sanction, les parlementaires ne nous précisent rien. Mais n'oublions pas qu'outre cette sanction, le titulaire de la carte grise devra déjà assumer sa responsabilité pécuniaire.
Une double peine qui pourrait acculer les automobilistes à la délation. Et c'est ainsi qu'un père dénoncera peut être son fils, un fils peut être même innocent !
N'attendons donc pas que les parlementaires nous précisent la nature des sanctions qu'ils entendent voir infliger à celui qui refuserait la délation. Nous pouvons leur dire NON.
NON, nous ne souhaitons pas que la délation fleurisse au pays des Droits de l'Homme.
Jean-Baptiste le Dall,
Avocat à la Cour
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