Jurisprudence Automobile, N°824, décembre 2010
Permis de conduire : l'annulation n'est pas limitée au Code de la route, Article rédigé par Jean-Baptiste le Dall p. 30-33, Commentaire de Crim, 1er juin 2010, n° de pourvoir 09-87134
Extrait consultable ci-dessous
L'annulation du permis de conduire n'est pas limitée au Code de la route
L'annulation du permis de conduire a fait couler beaucoup d'encre ces derniers mois avec notamment l'espoir de voir le Conseil constitutionnel censurer son application de plein droit en présence d'une condamnation pour alcool au volant en état de récidive légale. Mais au delà même de cette perspective, certains ont peut être oublié que l'annulation du permis de conduire peut être prononcée pour une simple conduite sous l'empire d'un état alcoolique et même pour une infraction étrangère au Code de la route. C'est notamment ce que nous rappelle la Chambre criminelle dans cet arrêt du 1er juin 2010.
Jean-Baptiste le Dall, Avocat à la Cour, Docteur en Droit
Dans l'espèce soumise à la Cour de cassation, un automobiliste avait été condamné à l'annulation de son permis de conduire avec l'interdiction de solliciter un nouveau titre de conduite pendant une durée de trois mois pour des faits de violences commises en réunion suivie d'une incapacité supérieure à huit jours.
L'automobiliste condamné reprochait à la juridiction d'appel de ne pas s'être assurée de la proportionnalité de la peine prononcée avec le comportement poursuivi et notamment d'avoir annulé son permis de conduire en l'absence de tout lien entre les violences et la conduite d'un véhicule.
Certes les praticiens sont plus habitués aux annulations de permis de conduire pour des faits réprimés par le code de la route, mais le champ d'application de cette peine est bien plus large. Il suffit pour s'en convaincre de se replonger dans certains ouvrages de droit pénal général...
« L'annulation du permis de conduire est prévue pour diverses infractions au code pénal. En réalité, elle est prononcée de façon quasi exclusive pour des infractions prévues par le Code de la route ou en tout cas des infractions commises à l'occasion de la conduite d'un véhicule automobile » (Pélissier p. Le Droit des peines L'Harmattan, 2003).
Ce court extrait illustre parfaitement la problématique soumise à la Cour de cassation. L'article 222-44 du Code pénal prévoit bien que « les personnes physiques coupables des infractions prévues au présent chapitre (atteintes à l'intégrité physique ou psychique de la personne) encourent également (parmi) les peines complémentaires suivantes
4° L'annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d'un nouveau permis pendant cinq ans au plus. »
Les faits de l'espèce peuvent donc conduire à l'annulation du permis de conduire, et s'ils n'avaient pas été commis dans le cadre d'un différent lié à la conduite automobile cette peine n'aurait sans doute pas été retenue. Mais l'infraction découle clairement d'un fait de conduite malgré ce qu'en pense l'automobiliste...
Le prononcé d'une annulation de permis de conduire pour des faits de violence est donc peu courant, néanmoins le contexte peut y conduire le juge. L'espèce du 1er juin 2010 n'est en cela pas inédite. (pour une annulation de permis de conduire pour des faits de violences volontaires avec arme n'ayant pas entraîné d'incapacité de travail personnelle, voir, par exemple, Crim. 18 mars 2008, pourvoi n°07-86075).
La position de la Cour de cassation n'étonnera donc personne : « la cour d'appel n'a fait qu'appliquer l'article 222-44 du Code pénal ». Notons au passage que la position de la Cour de cassation aurait quoiqu'il en soit été la même en présence de faits totalement étrangers à la conduite d'un véhicule (la Cour de cassation a déjà rejeté l'idée d'une obligation d'avoir à motiver une peine complémentaire : Crim 17 janvier 2001, n° de pourvoi 00-83506).
Certains appellent, d'ailleurs, de leurs vœux une application plus large de l'annulation de permis déconnectée de tout contexte de circulation routière. « Connaissant l'intérêt que nombre de citoyens portent à leur véhicule et au droit de le conduire, nul doute que ces peines soient souvent ressenties comme sévères et particulièrement restrictives de droit. » (Gaillardot D., Les sanctions pénales alternatives, RIDC 2-94 vol 46) Pour le magistrat les peines d'annulation de permis de conduire (notamment prononcées à titre de peine alternative) ne prendront leur pleine signification « que lorsque les juridictions prononceront de telles sanctions au-delà du contexte spécifique de la délinquance routière. »
Outre le rappel que la Cour de cassation opère quant à l'applicabilité très large qui peut être faite de l'article 222-44 du Code pénal, cet arrêt aurait du recevoir un écho plus important de la part de certains praticiens qui au même moment saluaient, un peu trop vite, la fin des annulations de permis de conduire en cas de récidive d'alcool au volant.
Au mois de juin, plusieurs avocats ont, en effet, utilisé la Question Prioritaire de Constitutionnalité -QPC- pour tenter de combattre l'annulation de plein droit du permis de conduire. Cette annulation prononcée automatiquement en présence d'une condamnation pour alcool au volant en état de récidive légale semblait difficilement conciliable avec le principe d'individualisation des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.
Certains praticiens prédisaient déjà l'inconstitutionnalité des dispositions de l'article L.234-13 du Code de la route s'appuyant sur une décision en date du 11 juin 2010 (DC 2010-6/7, QPC du 11/06/2010) relative à l'inconstitutionnalité d'une disposition du Code électoral (l'interdiction automatique d'inscription des listes électorales). A cette occasion, le Conseil constitutionnel avait estimé qu'une peine accessoire à la fois automatique et non susceptible d'être personnalisée méconnaissait le principe d'individualisation des peines. Cette décision a inspiré quelques avocats qui, fort de cette position a priori favorable du Conseil constitutionnel, ont soumis des QPC relatives à la constitutionnalité de l'annulation de plein droit devant différentes juridictions. C'est ainsi que le 15 juin 2010, le Tribunal correctionnel de Pontoise a eu, par exemple, à connaître d'une telle demande de transmission d'une QPC. « Le Conseil constitutionnel a considéré que les peines automatiques étaient contraires à la Constitution et notamment à la personnalisation des peines. Dans ces conditions, le prévenu, dont le métier nécessite un permis de conduire doit bénéficier de cette jurisprudence qui lui permettrait sous l'appréciation du juge du conserver son permis ».
La QPC a franchi le filtre de la Cour de cassation le 9 juillet 2010 et a été transmise au Conseil constitutionnel. Le 29 septembre, les sages ont mis fin aux espoirs d'inconstitutionnalité de l'annulation de plein droit (DC 2010-40).
Le Conseil constitutionnel a estimé conforme à la Constitution les dispositions de l'article L234-13 du Code de la route. Le conseil après avoir rappelé que l'annulation de plein droit du permis de conduire « vise, aux fins de garantir la sécurité routière, à améliorer la prévention et renforcer la répression des atteintes à la sécurité des biens et des personnes provoquées par la conduite sous l'influence de l'alcool », a balayé d'un trait d'éventuels problèmes de conformité à la constitution. Point d'incompatibilité avec le principe d'individualisation des peines puisqu'un juge peut toujours prononcer une dispense de peine et individualiser l'annulation en l'assortissant d'une période d'interdiction de solliciter un nouveau titre de conduite plus ou moins longue...
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